Pour eux, «il n'y a jamais eu d'explosion spontanée d'ammonitrates»
C'est le grand mystère de Toulouse: plus l'enquête policière avance, plus les chimistes se grattent la tête devant les explications avancées. Quand ils ne doutent pas carrément. «On dit que le hangar était confiné et, en même temps, on le déclare exposé largement au vent d'autan, s'amuse Jean-Pierre Labbé, de l'Ecole nationale supérieure de chimie de Paris. Soit une enceinte est confinée, soit elle est aérée. Il faut choisir.» L'hypothèse du rat venu crever dans le tas d'ammonitrates, entraînant ainsi une réaction en chaîne susceptible de provoquer l'explosion, les laisse sceptiques. «Des milliers et des milliers de tonnes d'engrais ont été trimballées, stockées n'importe comment, dans des hangars insalubres, dans des granges, dans des étables, au milieu des bouses de vache et des déchets de toutes sortes: jamais il n'y a eu d'explosion. Qu'on arrête la séance de guignol!» martèle Armand Lattes, professeur de chimie à l'université Paul-Sabatier (UPS) de Toulouse. Dans son laboratoire, l'une des chercheuses est la femme d'un cadre d'AZF tué par l'explosion. Certains l'accusent donc d'être de parti pris.
«Une bombe non amorcée n'explose pas.» Armand Lattes réfute: «Il me semble d'abord que je suis parfaitement capable de dissocier mes liens affectifs de mon raisonnement scientifique. Ensuite, oui, je connaissais ce cadre. Je peux vous dire que c'était un homme responsable. Son bureau jouxtait le hangar 221. Croyez-vous qu'il aurait été assez fou pour négliger son environnement immédiat?» A l'université Paul-Sabatier, ses confrères chimistes sont d'accord avec lui. «Toutes les explications données jusqu'ici relèvent de la plus haute fantaisie. Il n'y a jamais eu d'explosion spontanée d'ammonitrates. Jamais! confirme Jean-Jacques Bonnet, professeur à l'UPS. Il faut que la température, au cœur du tas, atteigne au moins 200 degrés pour provoquer une explosion.» Et les chimistes de Toulouse sont confortés dans leur position par de nombreux confrères, avec le même leitmotiv: «Trouvez-nous le détonateur.» L'un des meilleurs spécialistes dans ce domaine, Georges Guiochon, professeur à l'université américaine du Tennessee, a bien voulu recenser pour L'Express tous les accidents, incidents et catastrophes dans lesquels le nitrate a été impliqué depuis un siècle: «Il faut bien comprendre qu'en lui-même le nitrate d'ammonium est un explosif à la fois sûr et très peu sensible. C'est pourquoi on l'utilise beaucoup. Mais une bombe non amorcée n'explose pas.»
En réalité, les accidents liés à l'utilisation du nitrate ont toujours relevé des mêmes mécanismes, et on n'en dénombre que deux: «Soit l'amorçage par un explosif puissant, soit l'incendie. Encore faut-il que ce dernier dure plusieurs heures pour faire exploser le tas.» Des nitrates mélangés à des impuretés ou à des réducteurs comme des combustibles liquides peuvent-ils s'autoallumer? «Non, répond Georges Guiochon. S'ils sont mélangés, par exemple, à des carburants liquides, ils sont plus sensibles. Mais il faut encore un sacré pétard pour les faire exploser.»
Ecrivant à ses collègues de la Société française de chimie, Georges Guiochon a conclu: «Puisqu'il est de notoriété publique qu'un incendie n'a pas précédé l'explosion de Toulouse, force est de retenir la première explication [NDLR: c'est-à-dire l'amorçage] pour cette catastrophe. Cette explication entraîne la conclusion, difficilement évitable, que l'explosion de Toulouse ne peut guère être un accident.»
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